Des algorithmes dans les poulaillers du Québec

Des algorithmes dans les poulaillers du Québec

Depuis quelques années, grâce à ses solutions en matière d’intelligence artificielle (IA), l’entreprise joliettaine Intelia joue un rôle déterminant dans l’optimisation de la production de volaille, une industrie en hypercroissance à travers le monde.

On le sait, le poulet a la cote auprès des Québécois. Ces derniers en consomment en moyenne 34,4 kg par année, selon le rapport annuel 2021 des Éleveurs de volaille (EVQ). Le Québec est le deuxième producteur de volaille au Canada, après l’Ontario, autant pour la production de poulets que pour celle de dindons.​ D’après les données de Nielsen, le volume de poulet vendu dans la province correspond à 23 % des 285,9 Mkg vendus au pays. La fédération des Éleveurs de volaille du Québec compte pas moins de 700 éleveurs de poulets et de dindons au sein de ses rangs. Quant aux supermarchés, ces importants partenaires, ils consacrent de plus en plus d’espace aux produits de l’industrie de la volaille sur leurs étagères.

« En agriculture et en élevage, l’enjeu est de satisfaire au besoin de prévisibilité, pour assurer une meilleure gestion des opérations. »

– Claude Bouchard, cofondateur d’Intelia et chef du département de la technologie

Le besoin de prévisibilité

Dominic Désy

« Dans un contexte de souveraineté alimentaire et de rareté de main-d’œuvre, il est essentiel que les entreprises du domaine agroalimentaire profitent d’outils favorisant leur épanouissement. C’est ce que nous proposons », explique Dominic Désy, cofondateur, président et chef de la direction d’Intelia. Si l’entreprise, qui développe des solutions de contrôle et d’acquisition de données avancées pour la production animale, s’est d’abord concentrée sur le marché américain, elle a vite vaqué à l’expansion de son offre dans le secteur agroalimentaire à l’échelle internationale. « Nous sommes surtout actifs du côté américain, car l’industrie y est plus importante, et qu’on y trouvait, à l’époque, une plus grande ouverture. Nous sommes aussi très actifs auCanada, et nous introduisons au Mexique. Nous sommes présentement à la conquête du marché international. » En bonne voie, Intelia a signé en juin dernier une entente avec la multinationale Cargill, géant nord-américain spécialisé dans la fourniture d’ingrédients alimentaires et dans le négoce de matières premières.

« En agriculture et en élevage, l’enjeu est de satisfaire au besoin de prévisibilité, pour assurer une meilleure gestion des opérations, entame quant à lui Claude Bouchard, cofondateur d’Intelia et chef du département de la technologie. Ça permet, notamment, de planifier les cellules d’abattage. On saura, par exemple, que les oiseaux de quarante fermes, pesant en moyenne 2,5 kg à raison de 0,1 kg de variation, seront prêts pour l’abattage. Avant l’IA, l’industrie s’en remettait à des extrapolations fondées sur des statistiques. On pesait les oiseaux quelques jours avant leur abattage. Or, le problème des algorithmes statistiques, c’est que dès qu’il y a une anomalie liée à un phénomène indétectable, les prévisions sont mauvaises. Lors de la cueillette, des abatteurs venus chercher les poulets à la ferme pouvaient y constater qu’ils avaient un poids inférieur à ce qui était prévu, ce qui résultait en un détournement de la chaîne d’abattage pour les envoyer en transformation plutôt que directement sur le marché, un chamboulement de processus onéreux », décrit M. Bouchard.

Des capteurs dans les fermes d’élevage

Capteurs d’Intelia

Consciente de la popularité de la volaille, et surtout, du besoin en matière de prévisibilité, Intelia met en marché, depuis 2016, une solution qui a recours à l’IA pour interconnecter les exploitations agricoles au reste de la chaîne de production. Grâce à des capteurs qu’elle place dans les fermes d’élevage, Intelia collecte des données en temps réel sur sa plateforme Compass d’Intelia. Elle permet ainsi aux acteurs de l’industrie, tels que les producteurs, meuneries, entreprises de transformation et distributeurs, de centraliser l’information en temps réel pour favoriser une meilleure prise de décision.

Dans le souci du respect du bien-être animal, les données sont valorisées grâce à des outils d’analyse prédictive et d’apprentissage machine, qui fournissent aux acteurs de la chaîne les renseignements nécessaires à l’optimisation de la filière. « Il ne s’agira pas seulement d’optimiser les soins pour la rentabilité, mais aussi pour la santé animale », indique  M. Bouchard.

À travers le portail web ou l’application mobile de la plateforme Compass d’Intelia, le client peut consulter, sur son tableau de bord, les rapports générés par les capteurs, à partir de ce qui se passe réellement sur le terrain, afin de mieux orienter sa prise de décision. Si les données collectées pour chaque dossier client sont anonymisées, leur partage contribue toutefois à améliorer le système pour l’ensemble des utilisateurs, en nourrissant la data.

Des modèles prédictifs

Claude Bouchard

La solution en IA d’Intelia se fonde sur des modèles prédictifs, souvent utilisés dans le domaine de la finance. « Nous les avons adaptés à la croissance et à l’évolution des animaux, de sorte que l’IA puisse reconnaître une déviation de la courbe statistique et comprendre la manière dont se comporte la croissance. Le système comprendra, par exemple, que dans 80 % des cas, il y aura un bouleversement en période de canicule. On pourra ainsi prévoir que les animaux mangeront moins et boiront plus, ce qui aura des effets sur leur conversion alimentaire. » L’IA pourra ainsi détecter tout changement de la courbe de croissance, avec précision et fiabilité, et apporter des correctifs aux opérations de la chaîne de production.

Lorsque M. Bouchard parle d’un « phénomène imprévisible » ou d’un facteur perturbateur de la courbe de production,ne fait pas référence à un conflit de travail ou à une grève, comme celle qui a mené à l’euthanasie et au gaspillage de centaines de milliers de poulets chez Exceldor. « Ce genre d’événement ne perturbe pas l’analyse, et peut aisément être pris en compte. On parlera plutôt de prévision et d’ajustement en fonction d’un phénomène nécessitant l’IA pour être détecté, tel qu’un bris mécanique, affectant directement la production », de préciser l’ingénieur.

Le soutien gouvernemental

En tant qu’acteurs de l’industrie agroalimentaire, les deux entrepreneurs se sentent choyés quant au soutien offert par le gouvernement du Québec. « Le gouvernement coopère bien avec l’industrie pour la valorisation de l’autonomie alimentaire. En termes d’innovation, nous bénéficions notamment du Soutien aux projets d’innovation, lancé à l’initiative du Ministère de l’Économie et de l’Innovation, et administré par Investissement Québec », relate M. Bouchard. « En tant que l’une des douze entreprises choisies pour bénéficier du programme d’Hypercroissance Québec, œuvrant pour faciliter la commercialisation de l’innovation, nous sommes vraiment très impressionnés par la qualité des ressources qui sont mises à notre disposition pour relever le défi de l’internationalisation », de compléter M. Désy.

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Crédit Image à la Une : Intelia